Article paru dans Telex Var N°1696 du 31/07/2013
Je sais maintenant qui je suis
Samedi 13 Juillet 2013, 17h, Solliès-Pont. Alors que les roadies travaillent à la préparation de la scène et aux premiers réglages sonores pour accueillir le soir-même l’exceptionnel Pascal Obispo, j’ai rendez-vous avec Emmanuel Djob, « sa première partie » ! Sans autre journaliste présent, ce sera donc un « tête à tête »… et j’en savourerai à l’issue tout le privilège !
La magie d’une rencontre où quelque chose d’imperceptible se produit… et vous bouleverse. Il émane de l’Homme toute cette sagesse construite sur le doute et la souffrance. Il émane de l’Artiste toute cette générosité bâtie sur l’authenticité et la passion. L’Homme et l’Artiste sont désormais en osmose et pouvoir témoigner de cette réconciliation est effectivement un grand privilège…
Christine : Le grand public t’a découvert dans l’émission The Voice. Mais auparavant, tu avais déjà fait un sacré bout de chemin et notamment dans le Gospel…
Emmanuel Djob : En fait, pour moi le Gospel est une musique source parce qu’elle symbolise mes convictions… Je ne vais pas dire des convictions « religieuses », le mot étant à mon sens un peu galvaudé mais plutôt la conviction que l’être humain n’est pas fait que de chair et d’os. Qu’on en soit conscient ou pas, certains événements de notre vie nous mettent face à des choses immatérielles qui nous attirent vers un ailleurs. Le Gospel a la particularité de parler de cela mais différemment des musiques purement religieuses. Le Gospel évoque aussi la façon dont l’être peut survivre à ce que je pourrais appeler un « désastre humain ». Il y a des peuples qui, dans leur Histoire, ont vécu des catastrophes : les juifs, les noirs, les arméniens et tant d’autres… Le Gospel est l’une des rares musiques qui dit qu’il est possible de s’en sortir et qui le fait de façon concrète : les sons, les notes, les mots sont suffisamment forts pour aider à passer des ténèbres à la lumière… Et pour l’Africain que je suis, ce message est d’une puissance phénoménale. En plus, le Gospel est une musique afro-américaine. Ce mélange traduit bien le métisse que je suis. Donc pour moi cette musique symbolise tant de choses qu’elle est en moi, omniprésente dans tout ce que je fais. Je peux chanter de la variété française, je pense qu’il y aura toujours une âme gospel dans mon interprétation !
Christine : C’est aussi ce qui explique cette capacité à véritablement entrer en transe quand tu chantes ?
Emmanuel Djob : C’est juste ! La musique pour moi est un chemin et non une fin en soi. C’est-à-dire que c’est un moyen qui me permet d’entrer encore plus profondément en moi, là où, dans la vie courante, je ne pourrais pas aller par peur du jugement… Ce que je vais trouver ne va-t-il pas me faire perdre mes repères ? Seule la musique me permet ce voyage intérieur et quand j’y vais vraiment, toutes les barrières explosent et il se passe quelque chose d’incroyable qu’on peut associer à une forme de transe.
La musique pour moi est un chemin et non une fin en soi
Christine : T’entendre parler de la musique de cette façon-là et savoir que l’un de ces chemins t’a amené à l’émission The Voice est en soi un peu paradoxal ! Est-ce que ce n’est pas « vendre un peu son âme au diable » que de se laisser tenter par une aventure aussi commerciale ?
Emmanuel Djob : Je me suis posé cette question au moins un millier de fois avant d’accepter de faire The Voice et cette question est pour moi essentielle… J’avais des idées préconçues sur le monde des médias, de la télé et à fortiori sur TF1 qui représente le média commercial par excellence. Mais au moins, ils ne s’en cachent pas et le propos est clair ! Et lors de mon premier passage pour les fameuses auditions à l’aveugle, j’étais vraiment mal dans ma peau. Ce moment était tellement agressif pour moi que j’ai préféré créer une bulle et m’enfuir dans la transe pour m’y perdre et ne pas me laisser manger par cette vision extérieure !
Christine : Et pourtant, tu as non seulement conquis tout le jury, mais aussi le public qui t’a amené jusqu’en demie finale ?
Emmanuel Djob : Je vais te dévoiler un aveu. Il s’est passé quelque chose à la fin de l’audition qui, bien entendu, n’a pas été montré à la télé. Après avoir chanté ma chanson « Georgia on my mind », les 4 fauteuils se sont retournés, j’ai choisi mon coach et puis j’ai annoncé solennellement que je quittais l’émission. J’ai pris 3 bonnes minutes pour expliquer pourquoi je ne pouvais pas continuer. Et là, stupeur dans le public, sur le plateau, personne n’a compris ce qui se passait ! La production est venue me voir dans les loges pour me convaincre de rester. J’ai fini par dire OK mais sans grande conviction. Tout ça s’est passé en décembre. Peu de temps après cette première audition, je suis parti au Cameroun pour voir mes parents qui ne savaient pas que je participais à The Voice. Et là je leur ai parlé de mon aventure et ils m’ont dit : « n’aie pas peur de ce qui va s’y passer parce que ce ne sont pas les autres qui te changeront si tu es sûr de ce que tu es au fond de toi. C’est le meilleur moyen de savoir ce en quoi tu crois ». Et ça a été une énorme leçon : j’ai compris que les gens que j’avais croisés sur TF1 et dans cette émission n’étaient ni pires ni meilleurs que moi, mais certainement d’excellents professionnels. Et j’ai compris que cette peur était dans ma tête et qu’aucun système ne pouvait me changer si je décidais de rester moi-même ! Quand je suis revenu du Cameroun en janvier, j’ai donc décidé de continuer les émissions et c’est à partir de là que j’ai commencé à prendre du plaisir et à communiquer enfin avec le public.
Christine : Et avec ton coach, Garou, comment ça s’est passé ? Pour qu’il te dise que tu pouvais lui donner des cours de chant, c’est un très beau compliment…
Emmanuel Djob : C’est vrai ! Mais je pense que c’est l’authenticité qui l’a touché parce que c’est quelqu’un qui travaille là-dessus et qui suit aussi ce chemin. Je suis allé dans cette émission pour apprendre et à aucun moment je ne me suis senti capable de donner des leçons à qui que ce soit. Nous avions des rapports de professionnel à professionnel avec cette différence que moi, je me situais comme un talent qui demandait à apprendre de son coach.
Avec du recul, je m’aperçois que The Voice a été pour moi un parcours initiatique
Christine : Dans The Voice, il y a eu un autre temps fort lorsque tu as revisité complètement une chanson de Cabrel…
Emmanuel Djob : J’aime beaucoup Cabrel. Dans la variété française, c’est celui qui me touche particulièrement parce que je pense qu’il connait bien le blues. Dans sa façon d’écrire, il y a beaucoup de silence. J’aime les gens qui laissent du silence entre les mots. Et il a des mots qui paraissent simples mais cette apparente simplicité est le fruit d’un travail extrêmement difficile. Pour moi c’est un maître. Quant à la chanson « L’Encre de tes yeux », beaucoup d’adolescents ont espéré draguer dessus. Donc pour moi, c’était à la fois replonger dans mon adolescence et à la fois me réapproprier ces mots après avoir vécu des histoires d’amour douloureuses. En fait, avec du recul, je m’aperçois que The Voice a été pour moi un parcours initiatique car chaque chanson que j’interprétais évoquait une partie de moi et parlait de choses que je n’aurais pas pu dire autrement.
Christine : Et « ces choses-là » tu comptes les dire à ta façon dans ton futur album ? Comme tu le dis, pour toi, c’est le trait d’union entre l’avant, le pendant et l’après The Voice…
Emmanuel Djob : Absolument ! Avant, j’écrivais déjà beaucoup mais je doutais de mon écriture comme la plupart des artistes. The Voice m’a obligé à sortir du bois, à accepter que je sois singulariser et qu’on me voit comme un individu à part entière alors qu’avant je me cachais derrière des groupes. Mais je me demandais si j’oserais l’assumer sans l’argument de l’émission télé. A travers ce projet d’album, c’est ce que je j’aimerais me prouver avant même le prouver aux autres. En fait, c’est toujours un combat avec moi-même…
Christine : La musique est finalement ta meilleure thérapie ?
Emmanuel Djob : Exactement !! Ça c’est le mot autour duquel nous tournons depuis le début mais c’est le mot !!! (rires).
Christine : Et donc cet album, où en est-il et quelle sera sa couleur ?
Emmanuel Djob : Il sera délibérément soul !! J’ai beaucoup de titres dans mes cartons que j’ai écrits et qui vont dans tous les sens, du gospel à la chanson française. Mais pour que le propos soit clair pour ceux qui vont l’écouter, mieux valait se focaliser sur une direction musicale, un univers. Donc on a choisi la soul, et cet album sera pour moitié des compos et pour moitié des reprises. Je sors à peine de la tournée Voice Tour donc je ne me suis pas encore plongé dedans, mais le choix des chansons est fait et il n’y a plus qu’à travailler la matière…Mais pour être franc, ce projet est en quelque sorte l’album de jonction. C’est après celui-là que je ferai enfin, en 2014 je pense, l’album qui parlera véritablement de moi. Là j’avoue que je fais encore un compromis avec ce que j’ai vécu à The Voice, mais sans que ça me pose un problème de conscience…
Je tiens beaucoup à mes 50 ans !! Avec l’âge, on avance de façon moins erratique
Christine : Tu as 50 ans ! L’âge est un privilège pour toi ?
Emmanuel Djob : Oui ! Absolument ! Et je tiens beaucoup à mes 50 ans !! (rires). Avec l’âge, on avance de façon moins erratique. Il y a des expériences que j’ai faites dont je sais qu’elles ne fonctionnent pas et d’autres qui, au contraire, fonctionnent très bien. Il y a des paroles que mes parents, mes grands-parents m’ont dites ou que j’ai lues, que j’ai pris le temps de comprendre, d’assimiler et qui commencent à faire sens pour moi. J’arrive à un âge où je sais un peu mieux ce que je suis, ce que j’aime ou ce que je n’aime pas, ce que je veux et ce que je ne veux pas… Par le jeu de l’élimination, mon environnement est devenu plus stable. Ceux qui peuvent s’en accommoder restent et ceux que ça dérange s’en vont. Je respecte chacun comme il est mais je ne fais plus de compromis et en me respectant moi-même je sais maintenant un peu mieux qui je suis…
Christine : Visiblement, tu as eu besoin de prendre tout ce temps. Mais en démarrant une carrière d’artiste solo à 50 ans, du temps tu n’en n’as plus beaucoup !! Et là encore, c’est un paradoxe ?
Emmanuel Djob : Mais j’aime ce paradoxe ! Si cette « carrière » avait explosé avant, je n’aurais sans doute pas vécu les sensations que j’ai aujourd’hui. Pour moi, l’essentiel n’est pas d’être célèbre, et d’ailleurs je l’ai soigneusement évité pendant une quarantaine d’année !! (rires). Et pourtant, en toute humilité, je peux dire que, plus jeune, j’étais vraiment un chanteur avec une voix hors norme, tout le monde disait que j’étais un extra-terrestre ! Mais je n’étais pas prêt à l’assumer. Alors je suis passé par une phase de silence où je ne chantais plus du tout… Et finalement, The Voice m’a ramené au chant et aidé à comprendre qu’il pouvait être une performance sans que j’en ressente une culpabilité. Aujourd’hui enfin, je peux mélanger le silence et le chant, réussir à être un performer qui n’a pas peur du silence ou qui sait l’utiliser…
Retrouvez toutes les photos du concert, réalisées par Christine